• 18 et 19 novembre 1914

    18 et 19 novembre

    Les Russes avancent dans la Prusse orientale et sur Varsovie, en Autriche, qu’ils menacent de plus en plus.

    C’est de bon augure.

    Ce soir, je vais à mon poste de l’ambulance. Trois nouveaux blessés sont arrivés dans les salles 1 et 2 ; ils viennent directement de Nieuport, où ils étaient sur les dunes qui bordent la Mer du Nord, protégés par le feu de l’escadre anglaise. Pendant 8 jours - et pendant 8 nuits – ils sont restés sous la pluie – trempés jusqu’aux os. Et pendant 5 jours – me dit l’un d’eux – ils sont restés sans boire ni manger, dans l’impossibilité où ils étaient d’être ravitaillés par l’Yser ; les heures de ravitaillement ne correspondant pas avec celles de la marée. Pauvre gens !

    Avec M. Chavane nous nous partageons la nuit. Il fait froid et ce matin – au lever du jour – après une nuit claire et étoilée – nous nous apercevons  que les toits sont blancs de gelée, les ruisseaux sont glacés et la glace est épaisse. Dans les jardins de l’école normale le thermomètre est descendu à 5° au dessous de 0 ; c’est beau pour commencer. Brrr ! Dans les tranchées, sur les champs de bataille comme les pauvres soldats doivent avoir froid !

     

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    Parallèle de départ.- LSU.- 80 Fi 4. AD41

     

    L’hiver, vraiment, commence de bonne heure. Dans les salles de l’ambulance il fait froid.

    Un mouvement a été fait parmi les infirmières des salles 1 et 2. Jusqu’à ces jours-ci le corps des infirmières était : mademoiselle Sauvalle[1], madame Lambert-Changy[2], mademoiselle Roche[3] ; aujourd’hui il se compose de : mesdemoiselles Sauvalle, Roche, de Marsay[4], madame Delaygue[5].

    Ce matin jeudi – à 10 heures – je vais au service célébré à la cathédrale pour le repos de l’âme du capitaine Demimuid.

    Depuis lundi dernier, des femmes–contrôleurs remplacent leurs maris appelés à la guerre sur les tramways électriques de Blois.

    Depuis hier mercredi, sont arrivés à Blois 100 soldats étrangers qui formeront ici un régiment ou fraction de régiment de la légion étrangère anglaise. Ces soldats sont tous jeunes, habitaient l’Angleterre, portent le costume kaki des soldats anglais, et sont sous les ordres d’officiers anglais ; ils ont jusqu’à 2 infirmières anglaises. Ils sont logés à la caserne. De nouveaux soldats de la légion anglaise vont venir s’ajouter à ceux ci.

    Décidément Blois est la ville des légions étrangères, et cela donne de l’animation et du pittoresque à notre ville.

    En rentrant de l’ambulance je trouve la lettre de M. Harrault, le glorieux amputé de Laversine

                              « Laversine

             Mon cher ami

    Je réponds à votre gentille lettre qui m’a fait grand plaisir. Je vais aussi bien que possible, mes nombreuses blessures sont en bonne voie, à part mon malheureux bras tout irait pour le mieux.

    Cher ami je ne pense pas encore quitter l’hôpital maintenant, soyez sans inquiétude à ce sujet ; quoique le temps commence à devenir un peu long je resterai le temps nécessaire. L’équipe anglaise qui m’a soigné est partie depuis quelques jours, ce sont maintenant des Français ; heureusement que les soins ne se sont point ressentis de ce changement et que encore quelques jours et je pourrai serrer la main à vous et à tous les amis. Je serai obligé probablement après Laversine d’aller à Paris pour subir des massages électriques au bras droit qui est – en quelque sorte – ankylosé.

    Nous n’entendons plus le canon ici depuis quinze jours ; la guerre va bien. Quel dommage que je sois à la réforme maintenant, sans cela j’aurais été heureux d’aller démolir encore quelques boches[6]. Je me recommande à vous pour que vous donniez le bonjour à tous les amis qui demandent de mes nouvelles ; je compte sur vous pour ce service et cela me ferait plaisir que vous alliez rendre une petite visite à ma femme qui – je crois – doit commencer à s’ennuyer.

    Recevez – cher ami – l’assurance de mes sentiments bien cordiaux et dévoués

                                      Signé : Léon Harrault

    Le secrétaire vous prie – monsieur – de recevoir ses salutations distinguées

                                      Signé : Jules Allamand »

    Hier au soir le tambour de ville a annoncé aux quatre coins de la ville que « tous les hommes des classes de 1893 comprise à 1910, de la Territoriale et de la réserve de la territoriale, de tous les services, n’ayant pas encore été appelés, doivent rejoindre leur dépôt immédiatement et sans délai ». Cet appel est également publié par tous les journaux. C’est un ordre du ministre de la guerre. Il était temps, car je suis de la classe 1892 !! Je reste donc encore cette fois ci !...

    [1] Rue des Ecuries-du-Roi , 14, à Blois

    [2] Château de la Borde, par Vernou-en-Sologne (Loir-et-Cher)

    [3] Rue du Puits-Châtel, 36, à Blois

    [4] Château de Madon, par Candé (Loir-et-Cher)

    [5] Quai Ulysse Bernard, 37, à Blois

    [6] Le brave ! Être amputé glorieusement et vouloir faire son devoir patriotique