• 29 et 30 mars 1915

    29 et 30 mars 1915

    Lettre de Dargent, de la Seine-Inférieure.

    « Blangy, le 26 Mars 1915.

    Mon cher monsieur Legendre

    Je vous prie de croire que je me trouve on ne peu pas plus heureux que de me voire avec ma petite famille et sur tous que je les est trouvé tous en très bonne santé mais je n’est pût rester qu’une journé à Amiens et je ne puis pas quitter Blangy pour aller plus loing car sa mes bien défendu par la gendarmerie et c’est très sévère en se moment.

    Mais comme j’ai eut le temps de prendre ma femme et un de mes enfant le plus jeune car l’ainé travaille comme cela. Je me trouve en famille tous de même pour passer mon moi de convalescence bien heureux comme vous pouvez le pencer. Je continue toujours à bien me porter pour le moment et je pence que ma lettre vous trouveras de même à son arrivé et madame Legendre, votre bonne mère aussi qui est de ci bon cœur. Je pense aussi que mon ami Charle continue toujours à bien aller pour sa santé et qu’il doit toujours être au bon chateau de Chitenay ou j’ai été ci bien pendant les trois semaines que je suis rester. Je vous prie M. Legendre de dire bien le bonjours à Madame Legendre à ma bonne Sœur Marcelle et à mon ami Charle de ma part.

    Toujours votre tous dévoué et bien sincère ami qui vous serre la main.

    Signé : Dargent Patrice chez M. Coussin

    Blangy-sur-Bresle (Seine-inférieure). »

    Voici aussi une carte de Charlot.

    « Monsieur Paul

    Toujours bien portant, j’ai un appétit féroce. Je fais de bonnes promenades. Je vous attends lundi…

    Bien le bonjour à madame Legendre et à Sœur Marcelle.

    Viard Charles, fusilier marin.

    Je vous enverrai la photo de 2 braves fusiliers marins. »

    Oui je devais aller voir Charles à Chitenay aujourd’hui lundi, mais je suis obligé de remettre à demain.

    Donc à demain !

    Ce soir je vais à l’ambulance. Il n’y a rien de bien saillant. Gérard va un peu mieux, et on lui met moins de glace ; les autres vont bien. Du reste la salle 3 est à peu près vide.

    Je quitte la salle 3 ce matin, alors qu’au dehors il fait très froid et que la neige tombe à plein temps. Le voilà le printemps ! Quel temps !!...

    Et cela dure toute la journée et la neige tombe drue sans cesser. Et moi qui devais aller à Chitenay.

    Les pauvres enfants vont m’attendre ! Ils vont bien se douter que par un temps de chien pareil je ne peux me mettre en route.

    Ce qui prouve, une fois de plus, « qu’il ne faut jamais remettre au lendemain ce qui doit être fait la veille ».

    Je vais l’écrire à Charlot, je lui écris – soit une carte, soit une lettre – tous les jours. Je ne peux pas demain, ce sera pour jeudi.

    Justement voici une lettre joyeuse de Charlot, datée du 26, mais la distribution des lettres de Chitenay est très capricieuse.

     

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    Chitenay.- L’allée du château.- 6 Fi 52/4. AD41

    « Chitenay 26 Mars 15

    Cher Monsieur Paul

    J’ai reçu votre carte et votre lettre qui m’ont grand fait plaisir, la carte était très jolie et je vous en remercie beaucoup.

    Aujourd’hui vendredi nous avons beaucoup bûché.

    Nous avons chargé deux voitures de Blois. L’équipe se composait d’une brigade de fusiliers marins commandée par le général Gervois et je vous garantis que nous étions bien commandés et aussi nous avons beaucoup travaillé. Nous avons mené les voitures à Chitenay et nous avons été très bien reçu, les habitants nous ont fait goûter leur vin blanc qui était très bon et beaucoup le soir auraient mieux marché sur leur tête que sur leurs pieds, c’était un spectacle émouvant, aussi j’ai pris une partie de rigolade qui n’était pas ordinaire.

    Ensuite nous avons chanté et, moi, je jouais du violon. Ah ! C’était tordant ; si vous aviez été là vous auriez attrapé mal au ventre ; Vous me dites que vous ne viendrez peut-être pas la semaine prochaine, tout ça c’est de la blague vous me dites cela et je sais que vous viendrez lundi.

    Plus autre chose à vous dire que vous avez bien le bonjour de Nizon et de Gallon et du général Gervois « cité à l’ordre du verre pour avoir su par son courage et son sang-froid entraîner toute une brigade à l’assaut d’une cave et qu’il a ramené en arrière avec plus d’éclopés que de valides ». Enfin la journée s’est passée dans la joie.

    Bien le bonjour de votre ami : Charles Viard. »

    Et à la 4e page de la lettre était deux naïves caricatures, dessinées à la plume, représentant ou plutôt ayant la prétention de représenter Gallon et Viard, avec, au bas : « Gallon, Viard, hommes commandés par le vaillant et illustre général Gervois. »

    Puis, dans une autre enveloppe, Charles m’envoie la photographie d’un groupe pris à Chitenay – dans l’orangerie – par M. le marquis de Pothuau ; de gauche à droite voici : Gallon, Nizon, Charles, Boivin, Darras, puis 2 autres que je ne connais pas, en dessous (assis) le général Gervois (l’air digne) et Thomas. Au dos, mon Charlot a écrit :

    « Offert du fusilier marin Viard Charles à monsieur Paul Legendre pour ses bons soins.

    Viard Charles. »

    Voici ce matin encore une lettre du général Gervois :

    « Chitenay le 26 Mars 1915.

    Monsieur Paul

    J’ai reçu votre lettre avec plaisir[1], mais quel effroi dans les premières lignes, aussi j’avais déjà rassemblé tous mes loustics et sans oublier nos vaillants fusiliers matelots pour prendre à l’assaut les caves de Chitenay, car il y a beaucoup de courageux citoyens pour la pompe à 13 degrés. Charles, dans son escouade, a pris les devants et je vous assure que ça pompait fameusement au point que le général a dû faire sonner : « Cessez le feu ! » et si, ce jour-là, nous étions tombés à Blois, je vous assure que Dorival[2] aurait été noyé.

    3 heures après-midi

    Nous avons été au bourg, mais par prudence la cheffesse nous a dirigés derrière le cimetière, mais là, la voiture a chaviré. Heureusement que,citation à l’ordre du jour : « l’équipe des fusiliers marins était là sous la conduite du général en chef Paul Gervois, sans quoi plus de bois mort ». Et quand nous sommes rentrés, avec bien du mal, car il y avait plus d’éclopés que de valides. Mais tout est bien qui finit bien. Espérons que les zeppelins ne viendront plus vous tourmenter et qu’à Chitenay il n’y aura plus de tremblements de terre, car les secousses sont parfois bien terribles. Aussi, monsieur Paul, veuillez voir à l’observatoire de Blois la température qu’il fera lundi afin que vous ne subissiez pas la commotion.

    Cordiale poignée de main de votre chef

    Le général Gervois. »

    Les farceurs ! Les lettres ci-dessus montrent assez qu’ils s’amusent bien. Les braves enfants ! Ils font bien. Ils ont été assez à la peine, ils peuvent être à la joie. Charles a 18 ans 1/2 ; Gallon en a 24 ; le général Gervois, qui est marié, et a 3 enfants, en a 35 ! Les âges n’y font rien, tous sont joyeux, tous s’amusent, les âges confondus, ils sont heureux ! C’est le meilleur des remèdes.

    La joie fait oublier la douleur, la misère et la peine.

    Comme ils savent que j’entends très bien la plaisanterie et que j’aime la joie, ils en usent. Combien j’en suis heureux !

    Au dos de la lettre du général était dessinées 2 caricatures de fusiliers : « Avant l’assaut ; après l’assaut ! » Puis en réponse à une blague que nous avons montée à Charles, et qui la prend très bien, un portrait quelconque avec cette dédicace « Melle Perroquet-vert à son petit Charles. »

    Les joyeux farceurs !

    Enfin – pour clore la journée – dans le tas des cartes de Chitenay, voici une carte de Charles :

    « Samedi le 27 - 03 – 1915

    Monsieur Paul

    Toujours en bonne santé. Je continue à faire de bonnes promenades avec l’ami Gallon. Bonjour de Gallon, du général Gervois et de Nizon.

    Bonne poignée de main de : Charles Viard (faire suivre en cas de départ.) »

    Puis dans un coin, une petite caricature de fusilier marin fumant sa pipe, avec, en écrit : « Je la tiens la pipe ! »

    Les pauvres enfants, les jours de mauvais temps, s’ennuient et ne savent quoi faire, alors ils s’amusent à écrire aux personnes qu’ils connaissent ; les cartes du château, dont il n’y a que 3 numéros, en font les frais ; aussi comme vues ce sont toujours les mêmes.

    [1] en réponse à une lettre de « blague » que je lui avais écrite, au sujet d’une prétendue visite des zeppelins sur Blois.

    [2] brave Zouave, blessé, fait prisonnier, puis repris, hospitalisé à l’hôpital 1 bis, où il est (la jambe fracturée) sur son lit de douleur depuis 6 mois, était le camarade de lit de Gervois.