• 14 décembre 1914

    14 décembre 1914

    « À partir d’aujourd’hui, 14 décembre, les jours rallongent le soir. Enfin ! Puisse la guerre – elle – raccourcir et se terminer. Voilà bientôt 5 mois que la guerre dure et –nulle part – ni de notre côté, ni du côté des Russes – l’Allemagne n’est entamée. Tandis que toutes nos pauvres provinces de l’est et du nord sont à feu et à sang ; tandis que la Russie occidentale est envahie.

    Cet hiver est d’une tristesse infinie ! Nulles distractions ! Pas de réunions, pas de concerts, pas de conférences, pas de théâtres, rien, absolument rien. Le temps se passe entre le journal où il n’y a rien à lire et le coin du feu ; entre l’espoir de nouvelles et les déceptions. Quel hiver !

    Mais ne nous plaignons pas auprès des pauvres soldats qui sont dans les tranchées, exposés aux intempéries, et en voisinage immédiat avec la mort. Ne nous plaignons donc pas.

    Les pianos, eux aussi, se sont tus ! Plus de gammes, plus de tuyage [tuilage] harmonieux ; les doigts des gentes demoiselles tricotent dans la laine au lieu de glisser sur les touches d’ivoire. Les pianos sont morts et fermés à clef. Et – à Blois – lorsque le passant s’attarde dans « la côte des gammes » où, le soir, autrefois, au travers des salons illuminés, des gammes et des gammes, toujours des gammes, s’échappaient des instruments à queue ou à courte queue, le silence le plus pénétrant le glace jusque dans les veines ; et seul, sur la ville endeuillée, c’est le bourdon d’un clocher qui jette sa note grave, annonçant, pour le lendemain, un service de mort…

    C’est ainsi ! (…) Et ce soir voici que le facteur me remet une seconde et longue lettre de mon excellent ami (…) Vous me demandez des nouvelles de Marcel : j’ai eu le bonheur de passer toute une soirée avec lui, il y a eu dimanche huit jours. Je l’avais – par hasard – déniché dans un petit pays voisin de celui que j’habitais alors. Il allait bien – à part un peu de fatigue. Il a un poste de confiance, mais périlleux, et je crains beaucoup pour lui ; je sais qu’il fera son devoir bravement, héroïquement… comme un agent de liaison. Il a refusé les galons de caporal, il serait maintenant sous-off. ayant l’estime et la confiance absolue de ses chefs. Il a comme commandant de Cie un sous-lieutenant, ils se tutoient mutuellement. Il a comme autre officier un sous-lieutenant de Selles, que j’avais eu comme sergent, ils se tutoient aussi. Il est donc dans les conditions les meilleures pour être bien considéré, mais aussi dans les conditions les meilleures pour se faire blesser ou tuer, car ils sont quatre agents de liaison et les ordres lui sont toujours communiqués, il doit les transmettre aux autres quand il n’est pas lui même de service. Une balle perdue s’est déjà amortie sur le talon de son soulier, et un éclat après avoir traversé le toit de son gourbi est venu se poser délicatement sur son sac qui lui servait d’oreiller. Je pense que vous avez reçu de ses nouvelles par lui même ; il devait vous écrire pendant son repos à Jubécourt. Depuis lundi il est rentré dans les tranchés. Gare ! le 113 et le 131 sont revenus sur la ligne, il va y avoir de la casse, c’est toujours la même chose. Pauvres régiments, pauvres soldats ; ils ont fait et font toujours leur devoir ; on a confiance en eux, et allez-y…»

     

    Agent de liaison

     

    Agent de liaison dans un boyau.- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (493)